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Pour qui court Philippe Courroye ?

25 juillet 2010 3 commentaires

Malgré de nombreuses voix s’élevant contre la gestion du dossier par le procureur Courroye, ce dernier s’accroche au dossier Woerth-Bettencourt, multipliant les enquêtes. Au risque de rendre un jugement qui n’apparaisse crédible qu’aux yeux de la majorité.

Sarkozy Philippe Courroye

Les diverses demandes de l’opposition pour faire la lumière sur la triste affaire Woerth-Bettencourt se sont avérées jusque-là infructueuses.

Une commission d’enquête parlementaire ? Acceptée sur le principe par Accoyer, mais renvoyée à Septembre – sur le mode « il est urgent d’attendre pour enterrer l’affaire Woerth-Bettencourt », il est fort probable qu’elle ne voie jamais le jour. Et qu’elle subisse le même sort que la commission d’enquête demandée par l’opposition sur les sondages de l’Elysée l’année dernière.

Le dépaysement de l’affaire dans un autre tribunal demandé par Martine Aubry et d’autres personnalités de l’opposition ? Accueilli par un silence méprisant, cette option n’a jamais été vraiment considérée.

Quant à la nomination d’un juge d’instruction, on ne semble pas non plus en prendre le chemin…

Mais au fait que reproche-t-on exactement au procureur Courroye ? Et en quoi cet ex-chevalier blanc de la Justice en son temps ne serait-il pas à même de dénouer les fils de cette ténébreuse affaire ?

La vérité est que le procureur Courroye est trop impliqué dans l’affaire pour pouvoir rendre un jugement au-delà de tout soupçon.

Premier élément troublant: on se trouve là en face d’un curieux cas d’école, dans lequel le procureur se trouve être juge et partie : en effet, ce dernier est cité dans les écoutes qui constituent le point de départ de l’Affaire…

Ce cas d’école réjouira peut-être les juristes, elle n’en inquiète pas moins les tenants d’un jugement impartial.

Ensuite, ce procureur se vante ouvertement d’être « l’ami » d’un des protagonistes de l’affaire, Nicolas Sarkozy, qui l’a décoré de l’Ordre du Mérite.

« Ami » auquel il a rendu un fier service dans l’affaire Lasserre, dans laquelle le Président était soupçonné de…prise illégale d’intérêts et de corruption passive avec enrichissement personnel. L’affaire – la seule qui put vraiment inquiéter Nicolas Sarkozy au cours de sa carrière – fut révélée par le Canard Enchaîné en pleine campagne présidentielle de 2007 et concernait les conditions d’achat par Nicolas Sarkozy d’un luxueux duplex à Neuilly sur la très cotée île de la Jatte.

Or, Courroye classa – au grand soulagement de son « ami » – sans suite l’enquête préliminaire de police.

Anecdote qui permet de mieux savourer les mots du Président au sujet du procureur: « On nous reproche de nous connaître, mais cela ne l’a pas empêché de faire son métier, ni moi le mien. »

D’aucuns soulignent aussi les limites du rôle de procureur: les interrogatoires peuvent se faire sans avocat, les perquisitions doivent se faire avec l’accord des personnes interrogées (!), enfin ce dernier n’est pas compétent pour déclencher des enquêtes hors de France. Gênant dans une affaire qui a été déclenchée par des soupçons d’évasion fiscale, en Suisse notamment.

Tout le monde a aussi noté le peu de cas que le procureur semblait faire du secret de l’enquête, et de nombreux journalistes ont souligné l’exceptionnelle facilité à se procurer les comptes-rendus d’interrogatoires.  Comptes-rendus transmis directement à l’Elysée et retransmis dans leur version épurée par Guéant aux journalistes (voir à ce titre la pétition des journalistes du Figaro, estimant que le journal avait été manipulé pour « blanchir » Eric Woerth).

Ces soupçons sont bien-sûr renforcés par le statut même de la fonction de procureur, hiérarchiquement rattaché à l’exécutif.

Enfin, le tableau ne serait pas complet sans mentionner la guerre de tranchée dans laquelle sont engagés le procureur Courroye et sa collègue la juge Prévost-Deprez, guerre qui n’apparaît digne, ni de leur âge, ni de leurs fonctions et qui a fini par transformer le  tribunal de Nanterre en une vaste cour de récréation.

La juge se prépare donc à enquêter sur les mêmes affaires que son collègue, quitte à arriver à des conclusions différentes tandis que ce dernier fait tout pour protéger son pré-carré et éviter un dessaisissement de l’affaire. A ce rythme, on ne pourrait que conseiller à Claire Thibout de prendre un meublé à Nanterre pour les trois prochains mois.

Un tribunal transformé en champ de mines, un procureur impliqué dans l’affaire, proche du chef de l’Etat et rattaché à l’exécutif de par sa fonction, une procédure limitant le cadre de l’enquête, mais idéale pour classer l’affaire. Tel est le cadre qui abritera l’enquête sur un éventuel conflit d’intérêt de la part d’un ministre, sur le financement de la campagne du Président, en bref sur ce que l’on considère déjà comme la plus sérieuse affaire du quinquennat Sarkozy.

Le tableau affligeant offert par une quelconque république bananière ?

Non, beaucoup plus proche de nous: l’exercice de la Justice en l’an 3 de la République Irréprochable de Nicolas Sarkozy.

Pétition Mediapart pour une justice indépendante

14 juillet 2010 8 commentaires

Mediapart lance une pétition en ligne pour une justice indépendante et l’ouverture d’une instruction dans le cadre des affaires Bettencourt.

Petition Justice Independante Mediapart

Sur le même thème, voir l’interview d’Arnaud Montebourg: « (le PS doit) saisir la justice ».

Le vrai problème dans l’affaire Woerth-Bettencourt

9 juillet 2010 4 commentaires

Le vrai problème de l’affaire Woerth-Bettencourt n’est pas tant la publication de révélations par le site Mediapart, mais bien l’incapacité dans laquelle est le régime de laisser se mettre en place une structure indépendante pour enquêter sur l’affaire.

L’unique axe de défense de la majorité – que l’on imagine orchestré en haut lieu par le cardinal noir Claude Guéant – a été jusqu’à présent de fustiger le site Mediapart et d’essayer de discréditer la presse qui s’est fait l’écho des diverses révélations dans l’affaire Woerth-Bettencourt.

Le site Mediapart a ainsi essuyé l’ensemble des critiques de la majorité ces derniers jours. Un thème qui revient en boucle (un élément de langage de plus défini par l’Elysée ?) est le « fascisme » que les méthodes de ce site rappelleraient. Ainsi, Xavier Bertrand d’évoquer des « méthodes fascistes » au sujet des écoutes publiées par Mediapart, suivi de près par la très nuancée Nadine Morano. Estrosi – ministre pourtant plombé par son aller-retour en jet privé pour assister au pot de Sarko et par ses deux appartements, dont l’un utilisé par sa fille – a profité de l’occasion pour se racheter une virginité, comparant la presse à l’origine des révélations à « celle des années 30 ».

On soulignera au passage l’ironie qu’il y a de la part d’une droite touchée d’amnésie à vouloir agiter le fantôme du fascisme et de la collaboration pour une affaire touchant une famille qui fut aussi intimement liée à la Cagoule que le fut la famille Bettencourt (le père – Eugène Schueller – tout comme le mari de Liliane Bettencourt ont été membres dans les années 30 et sous l’Occupation de la Cagoule, société secrète d’extrême-droite).

La vérité est que cet axe de défense ne tient pas un seul instant, et qu’il s’agit là d’un feu de paille censé faire oublier le vrai problème de cette affaire : l’incapacité du système démocratique français de garantir l’existence d’une enquête indépendante et impartiale sur les vraies questions que soulève cette affaire : le conflit d’intérêt possible dans lequel Eric Woerth se serait placé, les conditions d’embauche de sa femme, l’absence de contrôle fiscal de Mme Bettencourt pendant de nombreuses années, enfin le financement occulte de campagnes politiques.

Plusieurs enquêtes sont en cours, certes, mais aucune ne présente les qualités requises d’indépendance et d’impartialité pour permettre au pays de voir clair dans cette affaire aux multiples ramifications.

Qu’on en juge : l’enquête de l’IGF ? Déjà contestée de par son mode d’exécution : voir ici le résumé de l’article du Monde à ce sujet.

La justice ? Elle est représentée en la matière par le procureur Courroye, un magistrat dont la nomination en 2007 fut violemment contestée par le CSM, en lutte ouverte contre sa collègue le juge d’instruction Isabelle Prévost-Déprez, et de surcroît proche du Président de la République qui l’a décoré de l’Ordre National du Mérite et que ce dernier appelle « mon ami ». Autant de facteurs permettant de douter très sérieusement de l’indépendance de l’enquête que le procureur Courroye serait susceptible de mener. Et ce n’est pas par hasard si plusieurs leaders politiques dont Martine Aubry ont demandé le « dépaysement » de l’enquête (le fait de confier l’enquête à un autre tribunal).

La commission parlementaire ? Proposée par les socialistes (voir ici le texte de la proposition de résolution), elle a été acceptée sur le principe par Bernard Accoyer, mais l’Assemblée a refusé d’examiner la demande d’enquête le 6 juillet…repoussant d’autant la date de début de la commission d’enquête (pour mieux enterrer l’affaire ?).

On le voit, le problème n’est pas la presse – dont il faut garantir l’indépendance et qui constitue un contre-pouvoir indispensable dans une démocratie – mais bien l’incapacité du pouvoir à garantir une enquête indépendante et au-dessus de tout soupçon.

Or, n’en déplaise aux leaders de la majorité, seule une enquête indépendante et impartiale pourra faire se dissiper le climat de suspicion et de défiance dénoncé avec tant de fougue.